Comment les évolutions des fondamentaux et de l’organisation du système électrique vont impacter la construction tarifaire et les missions portées par le tarif ?
Thomas Verderi, sous la direction de Laurent Lamy et Alain Nadaï.
À 9h30 dans l’amphi du CIRED
Résumé
La thèse porte sur les évolutions possibles du modèle tarifaire français dans un contexte de transition énergétique : développement de la mobilité électrique, décentralisation de la production électrique. Elle analyse ces enjeux d’un point de vue économique – en modélisant des scénarios qui permettent d’identifier certains impacts de la transition énergétique sur le système électrique- et sociologique – en recueillant la réaction d’acteurs clés du secteur électrique à ces hypothèses d’évolution. L’analyse permet d’identifier comment les scénarios modifient certains fondamentaux de la tarification.
L’introduction pose le contexte en présentant le marché de détail français et de quelques autres pays européens. Elle montre la spécificité de la tarification française. Les dates et éléments clefs des évolutions du modèle tarifaire sont ensuite exposés : d’abord la construction du système électrique dans la première moitié du XXème siècle puis comment la nationalisation a apporté ses fondements à la tarification et enfin comment les évènements récents remettent en cause ces fondamentaux du tarif réglementé de vente. La revue de littérature montre que les questionnements liés au tarif sont de plusieurs natures. Certaines recherches tournent autour de l’efficacité économique du tarif, notamment tout un pan de la littérature économique traite de la forme des tarifs : la différenciation temporelle ou géographique permet d’atteindre un meilleur reflet des coûts. L’émergence de l’autoconsommation électrique a également motivé récemment de nombreux travaux économiques pour comprendre comment sa diffusion interagit avec les concepts de la tarification. La question des objectifs du tarif est aussi traitée par la littérature qui liste les différents objectifs et essaye de déterminer ce qu’est un tarif « juste » et comment cela est compatible avec l’efficacité économique.
La deuxième partie traite des conséquences du développement des énergies renouvelables sur les courbes de charge résiduelles des postes sources de réseau de transport (différence entre la consommation et la production locale décentralisée). Elle répond à la question de recherche : Quelles sont les conséquences des scénarios prospectifs de répartition de ces énergies renouvelables sur les courbes de charge du réseau de transport ? Historiquement, la production locale étant très faible, le dimensionnement du réseau de transport était déterminé par la pointe de consommation. Avec le développement des EnR décentralisées, la production locale prenant de plus en plus d’importance, le dimensionnement du réseau doit parfois se raisonner en fonction de la pointe d’injection. Un modèle qui prend en entrée des scénarios nationaux de prospective (type bilan prévisionnel, NegaWatt, PPE) et qui effectue une descente d’échelle à la maille des postes sources a été développé, afin d’explorer les enjeux de calibrage du réseau dans un contexte de production plus ou moins décentralisée. Les résultats montrent que le développement des énergies renouvelables va fortement modifier les formes des courbes de charge résiduelles et les relations entre les variables utilisées pour construire le tarif du réseau de transport. Les postes pour lesquels les coûts augmentent le plus sont ceux pour lesquels la facture réseau diminue : la structure tarifaire du réseau de transport actuelle ne semble donc pas adaptée au monde futur. Ces effets seront particulièrement importants sur les postes desservant des zones rurales : ce sont des postes caractérisés par de faibles consommations électriques mais qui sont destinés à accueillir des capacités de production électrique décentralisée.
La troisième partie porte sur les hétérogénéités des coûts réseaux. Comme on l’a vu dans la partie précédente, la transition énergétique va impacter fortement les zones rurales et nécessitera d’importants investissements de renforcement du réseau. Le principe de solidarité territoriale et la péréquation tarifaire font que les fortes disparités géographiques de coûts réseaux ne sont actuellement pas retranscrites dans les tarifs électriques. Une partie des consommateurs ne contribuent donc pas aujourd’hui au système électrique à la hauteur des coûts réseaux qu’ils génèrent. La question de recherche examinée dans ce chapitre porte sur l’évolution géographique de ces coûts réseaux à horizon 2030. Un travail important de constitution d’une base de données géographique des coûts réseaux à l’horizon 2030, a été effectué en deux étapes. La première étape a consisté à décrire le réseau existant et à calculer sa valeur à neuf pour chacune des communes françaises. La seconde étape a consisté à projeter géographiquement les investissements annoncés par les gestionnaires de réseau français. L’analyse de ces données met en évidence de très fortes disparités de coûts par habitant entre les communes urbaines et rurales. Les écarts au sein d’un même département peuvent atteindre un facteur 100. L’analyse montre que la péréquation nationale bénéficie fortement à une faible partie de la population et demande à une grande partie de contribuer faiblement. A l’inverse, un grand nombre de communes bénéficient fortement de cette péréquation alors qu’un faible nombre de communes contribuent fortement. Selon le prisme considéré, les conclusions sur le bienfondé de la péréquation nationale peuvent être donc assez différentes. A horizon 2030, les investissements ont tendance à augmenter cet écart entre coût moyen urbain et rural : ils sont plus importants en volume par habitant dans les zones rurales. Cependant, les mouvements de population semblent contrarier cet effet si bien que la répartition semble plus égalitaire en 2030 qu’en 2020. Enfin, il semble que la répartition géographique des investissements ne remette pas en cause l’existence de la péréquation tarifaire.
La quatrième partie poursuit l’analyse des différentiations géographiques en s’intéressant à l’autoproduction collective, objet assez récent dans le système électrique et dont la définition est encore en train de se préciser. A première vue, l’autoproduction collective semble avoir des vertus que la forme individuelle ne possède pas : les participants peuvent mutualiser leurs finances et l’espace disponible pour investir dans des capacités de production, ce qui la rend à la fois plus accessible socialement et plus efficace. Son développement dépendra des potentiels d’EnR disponibles par commune et de la robustesse de son modèle économique qui reste encore à définir. Deux questions de recherches sont traitées dans cette partie : « Quel est l’effet des différences géographiques sur la rentabilité des opérations d’autoconsommations collectives dans le cadre français ? » et « Quelles conséquences financières peut-on tirer de l’analyse du cadre français ? » Pour répondre à ces questions, un modèle d’autoconsommation collective à la maille communale a été développé. L’analyse montre que les potentiels d’installations sont limités dans certaines communes, notamment dans les plus densément peuplées, ce qui limite sa diffusion à une partie de la population. Les variations de productible ajoutent une inégalité économique : les coûts de production peuvent varier du simple au double selon la localisation. La rentabilité des opérations est très dépendante de la forme de la structure tarifaire (notamment de la distinction heures pleines/heures creuses) et de la possibilité de revendre l’énergie produite non consommée. Cependant, ces paramètres sont du deuxième ordre par rapport au prix des combustibles fossiles : si ceux-ci se maintiennent à des prix aussi élevés qu’actuellement, l’autoconsommation devint rentables quelle que soit sa localisation. Ainsi, la rentabilité de l’autoconsommation collective communale sera différenciée selon les capacités disponibles au sein des communes. L’incertitude liée à la régulation est très importante, mais elle reste du deuxième ordre par rapport à l’incertitude sur les prix des combustibles fossiles.
La dernière partie traite des attentes des acteurs vis-à-vis du tarif réglementé de vente, objet issu de nombreuses négociations et discussions entre les parties prenantes. L’émergence de nouveaux acteurs et le contexte de la transition énergétique pourraient conduire ce tarif à porter de nouvelles missions de politique publique. Cette partie essaye de déterminer quelles sont les attentes des acteurs vis-à-vis du tarif réglementé de vente et en quoi elles sont différentes d’un acteur à l’autre. Une série d’entretien semi-directif a été menée pour essayer de répondre à cette question. L’analyse des réponses montrent des attentes variées par catégorie d’acteurs. Certains souhaitent que le tarif prenne un rôle de protection des consommateurs et soit un outil de contrôle des prix tandis que d’autres souhaitent voir un tarif qui reflète les coûts et donc l’utiliser comme un outil économique au service de la transition énergétique. Les arguments mobilisés par les acteurs appartiennent à des champs différents : économiques, politiques, sociaux ou environnementaux. Ils mobilisent également des arguments relevant de la justice.
En conclusion, les méthodes de construction tarifaire doivent être modifiées pour traiter correctement de la nouvelle forme des courbes de charge sous peine de ne pas arriver à accomplir les missions qui seront visées par le tarif. Certains principes de tarification peuvent et doivent être conservés : les évolutions des coûts et de la demande ne justifient pas la remise en question de la péréquation tarifaire et elle reste également fondamentale (c’est un très fort outil de solidarité territoriale et son retrait générerait beaucoup de mécontentement) pour un nombre important d’enquêtés. Enfin, les missions accomplies par le tarif devraient être décidées collectivement et s’inscrire dans une réflexion globale sur la politique énergétique.