Ignacy Sachs, créateur de l’écodéveloppement
par Ricardo Abramovay, professeur de sociologie économique à l’Université de Sao Paulo

À lire
Autour d’Ignacy Sachs et de la fécondité d’un projet intellectuel, leçons pour un temps de retour des grandes confrontations, par Jean-Charles Hourcade, directeur de recherche émérite et ancien directeur du CIRED.
Le mot de Romain Huret, Président de l’EHESS
Ignacy Sachs: uma história, do ecodesenvolvimento ao desenvolvimento sustentável, par Ricardo Abramovay (en portugais). Voir la vidéo.
Les médias en parlent
Ignacy Sachs (1927-2023), pionnier de l’écodéveloppement, par Eric Berr, Enseignant-chercheur à l’Université de Bordeaux, Médiapart
La mort de l’économiste Ignacy Sachs, pionnier des travaux sur le développement durable, par Pierre Buhler(Diplomate, ancien ambassadeur de France à Varsovie), Le Monde
Le fait le plus marquant de la Conférence des Nations Unies sur « l’environnement humain », qui s’est tenue il y a 51 ans à Stockholm, a été la confrontation entre les pays du soi-disant « tiers monde » et les nations les plus développées de la planète. Ignacy Sachs, qui vient de nous quitter à l’âge de 95 ans, assistait à cette conférence et dans un article paru dans l’une des plus prestigieuses revues de l’époque, Les Temps Modernes, il exposait déjà les traits fondamentaux d’une pensée qui est devenue, en cinq décennies, une référence incontournable.
Polonais d’origine, il a dû quitter son pays dès l’enfance, peu après l’invasion nazie, et dans une aventure impressionnante qu’il raconte dans son beau livre autobiographique (A Terceira Margem, Cia. das Letras), il s’est rendu en France et, de là, a fini par arriver au Brésil. Il est diplômé en économie et, à la surprise de ses amis et collègues, en 1954, déjà marié à Viola Sachs (qui deviendra l’une des plus importantes spécialistes mondiales de l’œuvre d’Herman Melville), il retourne en Pologne. Les sciences sociales polonaises ont produit certaines des figures intellectuelles les plus remarquables de la seconde moitié du XXe siècle, telles que les économistes Oskar Lange et Michal Kalecki (qui a été le directeur de thèse Sachs) et l’historien Witold Kula. Sachs a travaillé sur le système de planification polonais avec ces économistes. Il a également passé trois ans à l’ambassade de Pologne en Inde et, tout au long de sa vie, il s’est toujours efforcé de rapprocher le Brésil et l’intelligentsia brésilienne de ce pays. À la fin des années 1960, Sachs a dû fuir la Pologne avec sa famille en raison des persécutions antisémites du gouvernement.
En France, il est accueilli par Fernand Braudel et devient professeur à la Maison des sciences de l’homme. Il est également le créateur et le fondateur du Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (CIRED) en 1973 et, quelques années plus tard, il crée le Centre d’études brésiliennes contemporaines, qui accueille des intellectuels, des hommes politiques, des dirigeants de mouvements sociaux et des hommes d’affaires brésiliens dans le cadre de séminaires hebdomadaires réguliers. Sachs a eu une influence intellectuelle et même politique indéniable au Brésil sur au moins trois points.
Premièrement, depuis Stockholm, Sachs a toujours défendu le multilatéralisme démocratique et l’importance des Nations unies dans la résolution des grands problèmes mondiaux. Cette défense, lors de la conférence de 1972, s’est exprimée par l’importance de la voix des pays dits du « tiers monde ».
En outre, Sachs n’a jamais accepté l’idée que le maintien des services écosystémiques dépendait de l’interruption de la croissance économique. C’est ce qui lui a inspiré l’expression « éco-développement », qui est même apparue dans des documents des Nations unies avant la généralisation de l’usage du « développement durable ». Pour lui, comme pour Amartya Sen, qu’il connaissait bien, le développement est une notion éthique et non un processus purement économique. L’augmentation de l’offre de biens et de services est essentielle dans la lutte contre la pauvreté.
Mais cette offre doit être planifiée de manière à ce qu’elle soit basée sur des techniques régénératrices et non sur la destruction, le gaspillage et la pollution, comme c’était la règle tant dans le monde capitaliste que dans les pays socialistes de l’époque. Et le paramètre de base pour juger ces modèles de production est leur capacité à incorporer et à améliorer les conditions sociales de ceux qui se trouvent au bas de la pyramide sociale.
L’écodéveloppement est l’une des contributions intellectuelles les plus importantes aux sciences sociales contemporaines.