Mesurer l’environnement
Entre richesse de la nature et dette écologique
Introduction
Il est aujourd’hui largement reconnu que la Nature est une source de richesse pour nos sociétés. Mais la manière dont cette richesse peut être mesurée est un sujet complexe, en particulier dans nos sociétés occidentales où cette dernière est appréhendée principalement à l’aune d’indicateurs économiques issus de la comptabilité nationale. Or la richesse de la biodiversité est composée d’une grande diversité d’entités très hétérogènes et renvoie à une multitude d’usages directs ou indirects, marchands ou non marchands. Cette difficulté a été soulignée par les économistes tout comme les comptables nationaux en charge de mesurer la richesse d’un pays. Le rapport Stiglitz, Sen, Fitoussi, sur la mesure de la performance économique et du progrès social, commandé par le gouvernement français, dit ainsi (2008, p. 20) : « il est souvent difficile d’attribuer à l’environnement naturel une valeur monétaire ; des ensembles distincts d’indicateurs physiques seront donc nécessaires pour en suivre l’évolution ». Ainsi, la Loi n° 2015-411 du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse consacre une approche en termes de « tableau de bord » où une diversité d’indicateurs « cohabite » pour guider l’action publique, plutôt qu’un indicateur de type « PIB vert ». Mais l’évaluation monétaire de la biodiversité n’a pas été totalement abandonnée par l’État puisque, depuis la Loi du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques, tout grand projet d’investissement public, d’un montant supérieur à 20 millions d’euros, doit réaliser une évaluation socioéconomique du projet, en intégrant les externalités positives et négatives de ce dernier, et parmi elles les impacts sur la biodiversité.
Cet essai vise à souligner qu’il est peut-être intéressant de passer d’une vision d’économie financière qui consiste à vouloir estimer les richesses économiques fournies par la biodiversité à une vision comptable qui cherche à rendre visible la dette écologique que notre système économique génère.
Pour ce faire, nous proposons de rappeler pourquoi et comment la richesse fournie par la biodiversité a été appréhendée, et comment elle est envisagée aujourd’hui en France par la puissance publique, tout en soulignant les limites des options retenues et la possibilité d’aller vers une évaluation de la dette écologique à partir du calcul des coûts de maintien de la biodiversité.
Citation: Levrel H. Mesurer l’environnement.Entre richesse de la nature et dette écologique. La Vie des Idées. 24 mai 2022.