Construire une expertise climatique locale pour mettre à l’agenda l’adaptation au changement climatique dans la planification et l’aménagement urbains. Le cas du Grand Tunis
Zohra Mhedhbi (MESRI, CIRED)
Résumé
Ce travail s’intéresse aux modalités de construction territoriale de l’adaptation au changement climatique, avec le recours à une approche interdisciplinaire, à l’interface des sciences sociales et des sciences du climat. Son objectif est d’analyser la mise à l’agenda de l’adaptation dans les politiques urbaines du Grand Tunis, à travers la co-construction d’une expertise climatique locale inspirée d’expériences développées dans d’autres contextes urbains, notamment au Nord. Ma présentation sera structurée autour de trois volets :
La première partie analyse la prise en compte de la question climat par certaines politiques publiques en les considérant sous une triple dimension : normative, organisationnelle et cognitive. L’examen des déclinaisons à l’échelle nationale des injonctions internationales en matière de climat, montre que les logiques sectorielles constituent un invariant des démarches d’adaptation, et que faute d’approches territoriales, les mesures d’adaptation préconisées peinent à se concrétiser. Il montre aussi que le secteur de l’urbanisme demeure pour l’instant largement exclu de ces réflexions. Au plan organisationnel, différents problèmes font obstacle à l’intégration de l’adaptation dans ce secteur dont la rareté des ressources financières, la caducité des instruments de planification urbaine et l’instabilité du contexte politico-administratif qui affaiblit les acteurs de l’urbanisme et les empêchent de s’ouvrir sur de nouveaux enjeux comme l’adaptation au changement climatique. De plus, les représentations sociales des acteurs et les effets de la distance psychologique (notamment expérientielle) vis à vis des effets du CC constituent de réels obstacles à cette émergence.
La seconde partie de la présentation traite de la fabrique des données urbaines nécessaires à la construction d’une expertise microclimatique. Nous menons ici une démarche d’analyse spatiale pour produire un diagnostic climatique spatialisé du territoire tunisois. Une base de données architecturales, morphologiques et d’occupation du sol du Grand Tunis est constituée afin de pallier la pénurie des données urbaines. Une collecte participative a été déployée via le réseau social Facebook pour collecter des données architecturales et de morphologie urbaine, ce qui a permis de construire une typologie architecturale du territoire. L’ensemble de ces données orientées vers les études climatiques a été mis à disposition des acteurs locaux, au premier rang desquels l’Agence d’Urbanisme du Grand Tunis (AUGT), leur offrant ainsi la possibilité de se saisir des enjeux climatiques.
La troisième partie mobilise les données urbaines élaborées précédemment afin de construire des cartes climatiques permettant une compréhension spatialisée des enjeux territoriaux. Afin d’observer les dynamiques d’appropriation et de traduction de ces objets sociotechniques, nous avons mobilisé le cadre d’analyse de la théorie de l’acteur-réseau. Nous avons montré que les cartes climatiques construites pour Tunis influençaient peu l’action urbaine face au problème climat. Elles n’ont guère joué qu’un rôle d’objet intermédiaire dans la mesure où, en matérialisant l’information climatique, elles ont permis de soutenir les interactions entre la sphère académique et la sphère des praticiens. Pour permettre une meilleure appropriation des enjeux climatiques par les acteurs de l’urbanisme à Tunis, nous avons opté pour la co-construction d’un projet de plateforme de données environnementales qui englobe les données climatiques sans pour autant s’y réduire. Ce projet a joué le rôle d’objet frontière dans la mesure où il a constitué un arrangement qui a permis de collaborer entre chercheurs et praticiens. Il a aussi joué un rôle de catalyseur de l’action collective en faveur de l’émergence de l’ACC dans l’urbanisme.